Le mercredi, franchement, ça me gonfle.
Je suis à la maison avec mes enfants. Quelle chance de pouvoir passer du temps ensemble ! Sauf que ça s’avère rarement aussi simple que prévu…
Parce que tu espères peut-être avoir un peu de temps pour faire une machine ou des papiers ce jour-là. Parce qu’il faut aussi gérer les repas (préparation, ingurgitation et rangement), la sieste, les devoirs, les bobos, les disputes, etc. Parce que tu vas passer une bonne partie de la journée à ramasser derrière eux tout ce qu’ils laissent traîner.
Et aussi parce que les activités qui leur plaisent sont rarement passionantes pour toi.
Alors bien sûr tu les inscris à des activités, histoire de tous vous occuper une heure ou deux (avec l’espoir inavouable de souffler quelques minutes).
Mais tu passes quand même un mercredi merdique. A te mettre la pression pour être à l’heure aux activités, avec la tenue et le matériel adéquats. A traîner des gosses qui râlent qu’ils n’ont pas envie d’y aller aujourd’hui (s’ils savaient à quel point j’ai envie moi…). A élaborer des stratégies plus ou moins heureuses pour ne pas attendre la fin de leurs activités dans un couloir moche et inconfortable.
Bref, le mercredi, tu finis la journée sur les nerfs, avec un gros sentiment de solitude. La frustration (et l’auto-flagellation) est maximale car ta journée n’a pas du tout ressemblé à celle dont tu rêvais naïvement quand tu as décidé de prendre ton mercredi : les moments complices, légers et joyeux que tu espérais ne sont pas au rendez-vous.
Pour couronner le tout, ton gamin, qui lui aussi espèrait ces moments, réclame encore et toujours ton attention. Alors forcément, tu pètes un câble et te transformes en furie. S’ensuit la monstrueuse culpabilité de ne pas avoir été une mère parfaite, douce et bienveillante…
Et si, en fait, c’était pas tout à fait de ta faute ?
Etre seule avec un ou des enfants n’est pas tout à fait naturel. Les recherches de la primatologue américaine Sarah Blaffer Hrdy montrent que les humains se développent depuis l’aube de l’humanité en élevant leurs enfants en coopération. C’est à dire que tous les membres d’une tribu, hommes et femmes, contribuent à nourrir et élever les enfants. Elle souligne la nécessité pour les parents d’appartenir à un réseau de personnes de confiance qui partagent responsabilité et attachement à l’enfant.*
Notre société occidentale individualiste a un petit peu oublié ce détail… Renvoyer une mère seule en tête à tête avec un nouveau-né entre les quatre murs de son appartement, puis s’interroger sur la dépression du post-partum, ça fait doucement rigoler.
La (pseudo) maîtrise de la fécondité a permis à tout un chacun de se dédouaner de la responsabilité des enfants d’autrui : « Ils l’ont voulu, ils assument ». Dès lors, la charge des enfants repose toute entière sur leurs parents, quand ce n’est pas entièrement sur leur mère. Comme si les enfants ne servaient qu’à la satisfaction de leurs parents et n’avaient aucune utilité pour la collectivité…
Le problème du burnt-out maternel est souvent associé à l’inégalité de la répartition des tâches entre la mère et le père. Mais ce que nous rappelle Sarah Blaffer Hrdy, c’est que l’implication du père n’est pas suffisante. La coopération au sein d’un groupe multigénérationnel de personnes de proximité est indispensable pour subvenir aux besoins de l’enfant. La collectivité, au lieu de faire pression de multiples manières sur les parents (et sur les femmes plus particulièrement), devrait prendre sa part des coûts de la « production d’enfants » ** et favoriser des modes de vie plus communautaires, plus solidaires.
Soutenir la parentalité, c’est aider chacun, homme ou femme de tout âge, parent ou pas, à se responsabiliser et à s’investir pour des enfants qui ne sont pas « à soi », en reprenant conscience du collectif et de l’interdépendance des générations.
C’est pour ça que je veux créer des lieux où tisser des liens multigénérationnels de proximité. Des lieux qui prennent soin des liens intrafamiliaux aussi (parent-enfant, grand-parent-petit-enfant, oncle-neveu, frères et soeurs, etc). Des lieux pour ceux qui ont envie de passer un moment complice avec un enfant mais ne savent pas trop comment s’y prendre.
Au lieu de ça, quelles solutions te proposent-t-on ? Soit une garde ; soit une offre de loisirs centrée sur les enfants (par tranches d’âge en plus, faudrait pas que tu puisses mettre tous tes enfants à la même activité en même temps) et sur l’injonction de la société à « réussir nos enfants » en développant leurs innombrables potentiels artistiques, sportifs, linguistiques, etc. En général, des séances d’une heure hebdomadaire qui engendrent une logistique de folie pour les accompagnants (mais bon, eux, on s’en fout) et des emplois du temps surchargés pour les enfants, qui ont de moins en moins de vrai temps de loisir, c’est-à-dire libre de toute contrainte.
Voilà la solution que je te propose :
Panach’âges, des lieux cosy, doux et joyeux, qui prennent soin des enfants mais surtout de ceux qui s’occupent d’eux !
Avec une personne bienveillante qui t’accueille et s’occupe de toi.
Avec un canapé et un thé. Avec des jouets et un transat pour bébé. Et des bras pour le bercer et des « grands frères » pour le faire rigoler.
Avec des activités fun pour tes enfants, mais aussi pour toi !
Des moments conviviaux, ludiques, artistiques à partager avec eux. Parce qu’on a pas tous une âme d’animateur BAFA et parce qu’il est plus facile d’être dans la légèreté quand on est soutenu par d’autres adultes qui tiennent le cadre.
Avec la liberté de choisir ton activité, de participer ou non. Un endroit où tu peux arriver en avance parce que tu sais que tu y seras bien et tes enfants aussi. Et repartir quand ça t’arrange. Ou choisir de ne pas venir du tout aussi. Parce qu’il y a des jours où on a juste besoin de s’emmitoufler dans une couette et de regarder la reine des neiges.
Un lieu ouvert à tous, car figure-toi qu’il y a des gens qui ont peu d’enfants dans leur entourage et à qui ça ferait vraiment plaisir de pouvoir passer du temps avec eux ! Dingue, non ?!
Un lieu pour recréer des liens de proximité multigénérationnels, un peu comme une tribu, parce que ta famille à toi est souvent dispersée géographiquement et que tu ne peux pas répondre seule à tous les besoins de tes enfants.
En attendant, que ton mercredi soit aussi doux et joyeux que possible !
A bientôt
Claire
* Sarah Blaffer Hrdy dans son ouvrage Mothers and others, publié en 2016 par les éditions L’Instant présent sous le titre Comment nous sommes devenus humains, extrait issus du livre de Brigid Schulte « Overwhelmed, How to Work, Love and Play when no one has the time. »
** J’ai trouvé cet article féministe intéressant, même si je n’adhère pas à l’ensemble des arguments avancés, ni au ton un peu trop militant à mon goût : « Produire des enfants » aujourd’hui : un défi pour l’analyse féministe de Anne-Françoise Praz, Marianne Modak et Françoise Messant dans Nouvelles Questions Féministes 2011/1 (Vol. 30) https://www.cairn.info/revue-nouvelles-questions-feministes-2011-1-page-4.htm